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SOMMAIRE

numéro 9

1965

fronton :
Angèle Vannier, poèmes présentés par André Guimbretière

nardigraphies : Ren ée Leclerc Dilhuydy
linogravure : Hugues Pissarro

poèmes : Raoul Bécousse, Michel Cosem, Jean Laroche, M-F. Lavaur,
Alain Lebeau, Norbert Lelubre, Jean Mazeaufroid, Henri Poncet,
James Sacré, Claude Serreau

primes traces : Robert Birou et Yves Pastels
proses de m-f Lavaur





Communication sur le thème engagement et poésie (Congrès jeune poésie, Bruxelles)

Si refuser l'engagement en poésie c'est être sourd et aveugle; si c'est être muet devant tout attentat à la liberté et à la dignité de la nature humaine ; si c'est adopter l'attitude du «veux pas le savoir» ; si c'est choisir l'indifférence et la fuite devant les risques encourus par celui qui parla ; si c'est flatter les potentats en dépit de leurs crimes pour obtenir avantages ; si c'est acclamer la bannière du triomphateur quand le droit est du côté du vaincu ; si c'est édifier une tour d'ivoire et se mettre des boules dans les oreilles pour étouffer tout appel de la vie, alors, je suis engagé.
Mais si être un poète engagé c'est suivre les directives d'un parti - et tourner casaque selon les consignes - dans le seul but d'assurer au parti l'accès au pouvoir, et compter des lecteurs parmi les adhérents ; si c'est ignorer la tolérance ; si c'est prôner violence et scandale comme vertus essentielles ; si c'est écrire « mon frère le mineur » et vivre aux crochets de son épouse ; si c'est chanter « paix et fraternité  » et ne point s'excuser quand on bouscule un balayeur maigrillot ; si c'est crier « à bas l'oppresseur » et se terrer lorsque l'action vous sollicite ; si c'est médire des prudents sans avoir mesuré la tentation de trahir sous l'arrachage des ongles ; si c'est publier motions et manifestes et agir en désaccord avec leurs affirmations, alors, je plaide coupable. Je ne suis qu'un homme, et je réclame la liberté d'écrire selon ma vie et vivre selon mes écrits. Aussi ai-je pris pour devise de ma revue cette phrase où je réclame des poètes conscients des exigences de leur art, de leur nature et de leur temps.
Tant nous savons que les bons sentiments seuls ne font pas l'œuvre d'art et j'ai posé que tout écrivain doit être l'homme de ses écrits, car le poète est une conscience.

Michel-François Lavaur





Angèle Vannier ou l'adhésion aux puissances de la nuit
André Guimbretière

Les poèmes d'Angèle Vannier ici présentés surprendront peut-être comme l'avaient fait en leur temps
les pièces parues dans le choix de poèmes, de 1961 -Seghers- sous le titre de l'Amoureuse Alchimie.
Ils ne prendront au dépourvu que ceux qui, ayant aimé telle œuvre particulière, exigent du poète qu'il sa répète de recueil en recueil, afin de pouvoir y retrouver les images anciennes. Angèle Vannier ne se soucie que fort
peu de cette sorte de confort intellectuel qu'affectionnent certains lecteurs ; elle fait corps avec la vie, elle en épouse tous les rythmes ; et si les premiers poèmes pouvaient encore, à certains égards, passer pour des traductions d'expériences vitales, les poèmes récents sont la substance même de ces expériences. La toute dernière pièce qu'Angèle Vannier ait écrite porte ce titre admirable et significatif : Je pris la nuit comme un bateau la mer. Et sans doute ce titre est-il la clé de l'imagerie proposée par les nouveaux poèmes d'Angèle Vannier. Dans les précédents recueils on avait assisté à une intégration, parfois douloureuse mais toujours réussie, des souvenirs visuels conservés depuis l'enfance ; aujourd'hui c'est l'expérience de la nuit vécue totalement et jusque dans ses conséquences extrêmes qui fait son apparition.
Le climat très étrange, de rouge et de noir, qui est propre aux pièces récentes s'est précisé de poème en poème, Le temps de Mélusine pouvant être envisagé comme un pont lancé entre l'ancienne manière et celle de maintenant. Le nouvel univers créé, qui est onirisme pur, jaillit directement de l'image, car ici la vision ne précède pas l'expression verbale, elle se lève au contraire à partir de cette expression. L'image onirique dit strictement ce qu'elle dit, elle n'a pas à être interprétée ou justifiée, et le verbe est présente d'une réalité immédiate et magique.

La cécité d'Angèle Vannier, vécue en poésie, permet aujourd'hui à l'imagination d'exercer à plein sa souveraineté et son charme.



2ème temps
paroles de l'homme


Ton coeur aura la chasteté des cathédrales englouties
ses cloches sonnenront par les jours de tempête.

Qui va là sous le masque du coeur blessé
par le fusil des soldats fous ?
l'ère nouvelle à pas de loup...
des astres violés
se purifient dans le regard des innocents.

Ecoute les enfants de l'ombre
tresser des fleurs pour les fontaines affamées ;
ils ont une petite énigme au côté droit
qui saigne quand leur chant s'échappe de leur bouche.

Tu marches plus longtemps que tes pieds ne le veulent
tu contrains tes faiblesses
à rendre gorge dans la mer
tu t'éteins jusquà l'agonie.

La mer la mer a pardonné depuis toujours
un grand vaisseau frêté de feu
salue les gens de toutes races
on a signé la paix dans le chateau des glaces
enfants de Dieunrien n'est perdu
vous murissez au bod des eaux.




Sur la nudité des branches
la rose du ciel fleurit
Ces quelques feuilles font «oui»
Tout l'arbre sourit et penche
vers l'azur qui l'a détruit
La calme figure veille
à la crois ée des chemins
Le soleil entre ces mains
condamn ées qui s'émerveillent
dit la terre et ses lointains

Tourné vers nous l’Amour flambe sur terre
où la mort s'enracine

Dernières feuilles où luit
et s'apaise l'avalanche
Au vrai Soleil réunies
elles voient changer leur nuit
de clartés folles d'oubli.

Jean LAROCHE




Nardigraphe de Renée Lecerc-Dilhuydy

 







La rue des anges

La rue où l'on marche à minuit
est toujours si faible, si douce
et c'est la nôtre, elle suffit
aux gens de rien qui vont sans bruit
A peine si la pluie les touche

trouvant leur âme de la nuit
ils valsent dans l'air ils sourient
ils rêvent le doigt sur la bouche
La rue où l'on aime à minuit
est toujours si simple, si douce

Nobert Lelubre, 17 avril 1963


Nardigraphe de Renée Lecerc-Dilhuydy


Cajac

En une chorégraphie
Improvisée par le vent
L'hiver investit la ville
Et se promène en vainqueur
Dans cette rue page blanche
Où les mots à voix feutrées
Se font traces qui conduisent
Nulle part comme partout
La rue martelle demain
Son leitmotiv de passants

Robert Birou

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