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Sommaire Traces 104
Argos VII
petits éléments pour un bestiaire

hiver 1991

Michel-François Lavaur

Le cochon
le taurillon
la vache
Ulysse
L’Aote
le babouin
le chimpanzé
le perroquet
la noire
la truite
le poisson
l’oiseau
la truitelle
l’ânesse
l’écrevisse
l’araignée
le taureau
les paons
la vanesse
la bernache
l’empuse
la marquise des angles
l’ours blanche
la cigale
les demoiselles
la femme à l’ours
la pieuvre
la marmotte

 

Extraits du numéro 104

Il remontait de l'enfance, noir aux yeux verts. Pourtant, la jeune femme qui é tendait le linge au fond du potager, quand il se frotta, miaulant à ses chevilles, le rejeta par-dessus la murette.
Le grand chien de garde et les cinq pondeuses, après la chèvre et le chat roux, les lapins et les coqs, tous membres de l'arche vacancière, dans une smalah invraisemblable, suffisaient désormais aux choix de la famille, la fraternité animale avec les bêtes du bocage.

Deux fois, il tenta de séduire la femme qui le repoussa, mais à la troisième, elle accepta de le conduire à la maison, parce qu'il arrivait de l'enfance.

(Elle avait, gamine, recueilli un chaton de cette couleur, un de ces chats que ceux qui n'osent les occire abandonnent sur le parvis, à l'attention des bonnes âmes en veine de charité , les chats de la messe ; mais quelques mois plus tard il avait disparu, malgré les pleurs et les recherches.)

A la cuisine, il d é vora des poissons frits, tous les restes, et une grande bolée de lait tiède.

(Par quels chemins venait-il dans ce clos, en dépit du molosse ; et comment savait-il que ce noir cerbère apprendrait l'accueil et le bon voisinage, lui le vagabond, haret peut- être ?)

Rassasié , il montra sans honte qu'il n'entendait rien aux vertus de la civilité , posant II fut porté dans la remise, sur les clapiers, parmi les fanes et les foins.

Il devint chatte. Fut nommée Réglisse. Eleva quatre bestioles multicolores, sans jamais gronder, griffer moins encore, à l'approche prudente de ses nouveaux amis.

 

Elle vécut six mois en sauvageonne, attendit six semaines la fin des vacances.

Au retour, on tenta une lente gageure, un apprentissage, une éducation patiente et respectueuse.

Elle apprit même les caresses, au bout de trois ans de refus polis, d'esquives et de réticences, mais fit toujours patte de velours aux bipèdes nus qu'elle s' était choisis.

Maintenant, elle est sûre, encore que craintive et fuyant les visiteurs, d'avoir trouvé la terre promise.

Elle aime partager l'oreiller de sa maîtresse et crie moins "Léon" pendant les voyages au pays natal du pilote.

La famille humaine, désormais, habite chez elle.

C'est la déesse lare du foyer autour duquel patrouille Ulysse.

A cause de son goût pour se frotter aux encoignures, de sa robe soyeuse, elle est devenue Réglisse, Mélanie de Vibrisse, Marquise des Angles, mais r é pond, sans se départir de sa nonchalante élégance, à divers sobriquets.

Elle prend la pilule et a ses préférences, parmi les boites de conserves, et les croquettes du gros loup qui cohabite avec elle jusqu' à la laisser chaparder dans sa gamelle, à force d'intelligence et de tol é rance bourrue mais bonace.
Elle vous envoie son salut tacite depuis la rocaille où elle guette les sorties des mulots, tandis que j' écris ces lignes au frais sur la terrasse, parmi un concert d'oiseaux crépusculaire que l'anche émue des rossignols prolongera dans la nuit claire.

LA MARQUISE DES ANGLES


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