Logo original créé par Paul Dauce





SOMMAIRE

numéro 10

3ème trimestre 1965

Fronton : Alain Lebeau

nardigraphie: Michel-François Lavaur


poèmes : P.Boujut, R.Delahaye, D.Nauze,
C. Girard, J. Laroche, N. Lelubre, C. Serreau,
J. Lepage, H. Pissarro

linogravure: Hugues Pissarro
proses: J. Laroche et N. Lelubre






Somnambule les yeux grands ouverts dans ma vie.
Je supplie dans mes mains tendues les premières réponses de l'aube

Ces « yeux grands ouverts» et «ces mains tendues» figurent assez bien la poésie du jeune poète Alain Lebeau. Extraits de son premier recueil paru en 62 aux éditions sources, ils révèlent un auteur qui affirmera une des plus authentiques voix, non seulement de la poésie nantaise, mais de sa génération même. Lucide en effet, son regard discerne en nos gestes les plus banals, comme en nos réussites, ce fugitif et ce retrouvé, ce poids de vie qu'il appartient justement au poète de saisir et de perpétuer. Son souci de l'homme victime et triomphant de ses difficultés quotidiennes, de ses frères en révolte contre toutes les oppressions tend à rapprocher le poème de certains lecteurs plus ancrés dans le réel que familiarisés avec les abstractions.

Michel-François Lavaur

Soir d'octobre, accoudé sur la Loire
Mes yeux noyés se couchent dans tes quais
à l'ombre tiède de ton sang
ma bouche goûte ton eau noire
qui bat contre mon pouls

Soir d'octobre retenu au port
par des filins de lune
mes mains caressent tes reins creux
ma chair se trouble dans tes cales

Mais la débauche jette sur les ponts
des milliers de dos brisés
et mon visage de jouisseur solitaire
rayonne sous la lumière nue des lampadaires

Ouvriers mes frères
à l'heure où se taisent les tours
il est à vous ce repos de la terre
et malgré la courbature du jour
il faudra bien qu'on vous le rende

Alain Lebeau

C'est Novembre dans les tranchées.
Octobre là-bas sur les murs de Petrograd
de mots que la pluie n'éteint pas.

Au premier assaut, le paysan breton
s'empale sur la baïonnette d'un chômeur de Berlin

Les journaux francais assurent que l'Allemand est puant
et que Dieu reconna ît les nôtres.

Les soldats russes et autrichiens
dressent un front commun contre la guerre

Un jour tardif et gris démasque Pétrograd
un épicier ouvre sa boutique,
un cycliste dérape sur la boue
une lettre tombe,
on aper çoit révolution,
puis le vent l'emporte vers la Neva
où le croiseur Aurore s'est ancré

C'est Novembre un peu partout dans le monde
mais c'est Octobre à Pétrograd
révèle un petit homme trapu
à qui veut l'entendre.

Onze Novembre sonne aux Monuments aux Morts
Nous avançons toujours d'un mois
pense le petit-fils du paysan breton
en retirant respectueusement sa casquette

Alain Lebeau

En fuite sur les routes mouillées le passage des autos comme des couteaux . Et les traces en estafilades. Le rêve sous les roues.
La route en éclaboussures comme les hautes herbes. Foin vert et des ramiers.
Un gendarme en pelisse comme un cimetière avec une tête de faïence éternelle. Un gendarme avec des yeux de myosotis.
La route. Des jardins en petites vieilles. Et les rosiers qui vont défleurir devant les maisons. La route et les autos qui passent en fouet comme la pluie Les autos. Les chats.
Les chats en écuelles de silence et qui sentent la paille.
Et derrière les rideaux, il y a des petites vieilles on chysanthèmes, en bouquet comme l'heure qui sonne.

Hugues Pissarro
Je porte à bras le cœur des fusils impatients
je chante les refrains qui reposent ma mère
j'attends le matin pour éveiller mon enfant
ma lemme est là qui prépare mes cartouchières

L'orgue des églises me tourne la tête
et la pluie de printemps ruisselle dans ma chair
J'aime la vie simple des hommes libres
mais il me reste une balle pour ceux qui forgent les chaînes

Je n'ai pas peur de la mort qui délivre des prisons
et je suis prêt à pendre mes haillons aux barricades
si la roule gronde un soir d'été
Je n'ai rien à vendre sur la place du marché
mais je veux bien dire mes contes aux hommes rassemblés.

Il n'est pas uu mot qui taira mon amour
et les chiens pourront bien aboyer dans l'ombre
le temps des sorciers aura passé
et le bois des cerfs brisera leurs crocs

Alain Lebeau
Retour