Logo crée par Jean Dauce

 

Sommaire numéro 67
été 1982

Poètes du pays nantais


Bertrand Bourgue

 

 

 

Cette livraison de TRACES est consacrée aux poètes du Pays Nantais de Cadou à Briton, jeune poète lycéenne comme Cadou après un avant-lire de Lavaur et une lettre de présentation de d’Hélène Cadou

Textes : Hélène Cadou, Edmond Humeau , Gilles Fournel,
Serge Michenaud, Gilles Marquet, Francine Caron, Denise Dubois-Jallais, Pierre Autize, Charles Thomas, René Lecoq, Bernard Ripoche, Georges Drano, Claude Serreau , P.Gellé, Michel-François Lavaur, Jean Laroche, Alain Lebeau, G. Baudry, Rémy Prin,
G. Pajot, Augustin Berbers, Benoît Cambau, Philippe Thomas, Christophe Boutin, Jean Garçon, Yves Moulet, Serge Poiroux,
Alain Barré, Angria Dubart, Pierre Normand, Philippe Landreau, Jean Ocline, Marie-Christine Thébaud, Bernard Le Blavec,
Catherine Milbéo, Annie Tosser, Nicole Drano-Stamberg,
Myriam Briton.

les dernières pages sont des relevés bibliographiques et autres échos.

 


Extraits de la revue

Avant-Lire
Quand je suis arrivé en Loire Atlantique, un 16 octobre, j'entrai dans une salle de classe de Lusanger.
C'était en 1955.Un poème était sur un mur affiché : Odeur des pluies de mon enfance. J’en étais resté à Apollinaire, après des passions, successives, et quelque peu mêlées, pour Mus-set, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé... Je ne suis même pas sûr d’avoir vraiment rencontré, auparavant un texte de Cadou en entier
plus attiré que j'étais, à cette époque, par les arts graphiques et plastiques que je pratiquais aux Beaux-arts
de Bordeaux, l'année scolaire précédente. Plus tard, j’achetai à Rennes le Cadou de la collection Poètes d'Aujourd'hui. Je pris contact avec quelques poètes du cru, par l’intermédiaire de la revue de Fournel et de S. Chiffoleau à qui j'étais allé proposer un manuscrit. Lusanger, proche de Louisfert, fut le lieu où je naquis à la poésie des pays d'ouest.
J’ai, en dossier, les documents pour ce numéro, depuis près de sept ans (à commencer par la-prose de Cadou). J'aurais préféré un recueil, un livre plus imposant, plus artistement peaufiné mais ce numéro tardif dira que le poème n’a pas à s’inscrire dans un carcan, temporel. Qu'il perdure !
Michel-François Lavaur

Où te chercherai-je
Si je n'ai la clef
Des mille serrures ?
Sous la mer qui bat
Comme un coeur dément
Ou bien dans l'écume amère des nuits ?

Comme une racine
Qui surgit des vagues
J'aurai cru parfois
Pouvoir te saisir
Mais le souvenir
De nouveau s'efface
Sous l'eau la plus vide.

Il me restera
De croire au matin
Contre tout espoir
D'être cet enfant
Qui apprend à vivre
Et qui tient sa lampe
Comme une fleur triste
Battue dans le vent.

Hélène Cadou

Une seule fenêtre
Peut boire tout l'espace
Un seul poisson
Peut rêver de la mer
Mais un poème
Peut-il porter toute l'étendue
Du malheur
Toutes les écailles du bonheur ?
Peut-il être le ciel
Et le cri dans l'étable
Peut-il être ce sang qui s'évade
Cette chaleur qui n'a pas su te garder
Ce regard que tous les murs
Ont froidement renvoyé ?

Hélène Cadou

D'UN JUILLET ENCLAVE

Les fous enseignent à leurs envers
La protestation des assagis
Chez de sages lémures bénins
Qui les reflètent autonomes
Sous la lumière aussi vive au noir.

Sommes-nous tombés de la veille
Que le parapet des murs s'effondre
Au moindre galop des vigiles ?
Les cavaliers avertissent ainsi
De la vétusté des remparts franchis.

Edmond Humeau

voici que je vous parle d'un pays lointain
d'une région interne estompée par la pluie
d'un miroir où se déforme l'été
d'une étendue mangée d'écume
or ce pays ne s'inscrit pas sur une carte
il est on moi vous dis-je il filtre sous ma peau
et si j'ai retrouvé la cadence natale
telle un vol de vanneaux sur l'épaule des eaux
c'est en puisant le jour dans ce marais mouvant

Voici que je vous parle d'un pays lointain
d'une région nerveuse accolée à la vie
nourrissant la vie de sang d'air et d'eau
là-bas vers Vacarès les grands troupeaux sauvages
les éclairs blancs des cornes des sabots
leurs galops enfin au rythme du coeur
les étincelles de lumière morte
alentour la plaine des étangs
l'écriture machinale des herbes

une harmonie s'affirme entre ce pays plat
et ces taureaux ce vent
un désir naît prend sa course se développe
il trace un sillage épais parmi les roseaux
mesurant la liberté au volume de l'eau
qui jaillit à la flexibilité des joncs
sous cette alliance du mistral et des marais
voici q;ue se découvre un domaine vital
un pays lointain que je palpe à volonté

Gilles Fournel



II est difficile, pour dire tout, de faire une manière d'anthologie locale, comme si les poètes n'étaient que des sous-produits d'un terroir, quand le poème a force dans tous les retraits, sur toutes les places, ou n'y a point droit de cité. Non force de loi mais de foi, en l'homme
et ses pouvoirs de se dépasser, de transmettre cette certitude que l'homme peut être un animal responsable et perfectible, riche de promesses, parfois ignorées, souvent étouffées sous la cangue de peurs qui permet aux despotes et à leurs sbires, à leurs sicaires, de tenir leurs sujets dans l'ignorance et l’asservissement. C'est trop espérer sans doute que donner à la poésie une des clefs de la libération de notre espèce. Je crois pourtant, en mes moments d'éclaircie/ que c’est elle qui nous a fait, longuement, lentement,- ce rue nous somme- .par fois, d'un peu proche de ce qui mérite le nom d'homme.
Fallait-il réunir des natifs du lieu (mais comment, où le circonscrire, le limiter ?) et eux seuls ? Retenir aussi ceux qui y vivent, y vécurent ? Ceux qui ont chanté ce pays, d'où qu'ils viennent ? C'est la formule qui me plairait le plus, puisqu'il ne s'agit pas de mettre en lumière
une langue populaire, (il y a, en fait, des mots, des tournures savoureuses, propres à cette région et j'ai le projet d'écrire un texte qui les illustre, mais le saurai-je ? Commençons, par exemple, par St Florent le Vieil, qui vit naître, et ce n'est pas peu Julien Gracq, et Edmond Humeau. Georges Drano est considéré comme un poète de ce pays (et de ceux que vous devez avoir lus), aussi bien pourquoi omettre Gilles Fournel ( que Claude Serreau salua dans notre précédent numéro ). Tous deux sont nés à Redon. […]
Un poète que je n'ai pas publié à TRACES ( il est mort avant d'avoir pu m'envoyer des inédits ) me fit un- effet inoubliable quand je reçus son Scorpion Orphée. Il voulut bien m'autoriser à en reproduire un pas sage. Le livre est sorti chez Chambelland. Voici Serge Michenaud :

1 Scorpion je suis ou Serpent peut-être
Un homme nu sous l'étoffe du temps.
Le temps de l'homme est aux bords de son être:
Entre les bords passe le grand chien vent.
Le chien qui hurle à travers vos fenêtres
Vole à ce monde son vieux testament.
Adieu la vie, adieu la mort et naître !
Ces doux pays revont à leur néant.

2 Ces doux pays s'éloignent vers l'enfance
Que plus jamais vous ne retrouverez.
Le paradis perdu prend ses distances
Avec le peu que vous aurez été.
Ce peu, le dieu qui brouille votre histoire,
Porte son deuil en tant d'humbles pays !
Moi qui me tiens debout sans même y croire,
Qu'en reste-t-il si ce n'est ce long bruit.

Gabrielle Marquet, qui reçut jadis le prix Villon, est née à Nantes. Cet extrait de son « Bonheur d'être » lauré,

Couleur de violon
ma belle armoire sans fond
ne sera jamais pleine.
J'y emprisonne des paroles
mes péchés s'y décantent
s'y endorment étouffés
ou s'y réveillent ardents
près de leurs sœurs vertus
qui discrètes prospèrent
parmi mes prières officieuses.

dit la clarté chaleureuse de sa poésie. Francine Caron, bien que d'origine picarde, a vu le jour à Batz sur Mer. Elle aussi fut distinguée par
le même jury, avec son Femme majeure, où la féminité exulte et s'exalte :

Or l'alchimie
à l'axe de la bouche
au sceau du sexe
Du point du feu
jaillir
pour gouverner les astres

Force de l'ente avec le monde
quand le corps iradie
et sculpte ses rayons.

Accord de femme à homme
quand ils complètent leur royaume
et qu'il éclatent,
avec la lune et le soleil agenouillés

Femmes et poètes, dans le pays nantais : Denise Dubois-Jallais, de Saint-Nazaire et, née à Nantes mais avec un nom bien occitan,
Anne Teussièras. Et, tant d'autres que je citerai en fin de numéro, pour que les amateurs et les chercheurs sachent qui chercher dans
les rayonnages des bibliothèques publiques et des librairies.
TRACES est connue pour publier de la poésie dite « moderne ». (Quel mot, et quelle nuance de sectarisme dira-t-on !). Je veux cependant évoquer quelques auteurs dont l'écriture est délibérément traditionaliste. […]
D’autres auteurs, annuellement réunis dans les Cahiers de l1Académie Littéraire de Bretagne pratiquent cette écriture, avec plus ou moins de personnalité.
Chiffoleau, qui imprima Cadou, tira divers recueils, fort bien, de H. Leray ou Magdeleine Labour, F.Triger, aussi, toucha au vers libre et au verset, non sans quelque délicatesse :


En route vers l’école
Des petites filles scrupuleuses
Relisent une dernière fois
leur leçon de géographie.
La carte de France a des teintes douces
Comme le ciel de ce matin frileux.

J'avais, voici une douzaine d'années, proposé à des éditeurs un échange d’adresse : 120 auteurs du pays nantais, contre l'équivalent, ailleurs marquer l’importance, numérique au moins, de « notre » contribution à la poésie contemporaine.[…]


Retour
Sommaire