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Sommaire Traces 33-34
Deuxième trimestre 1972


Linogravure de Rikki

 

 



Textes :
Jean Spéranza,Ville Impériale
Gérard Le Gouic
Michel-François Lavaur,extraits de Aubiat
Charles Thomas,Au fur et à mesure
Christian Danquigny,L'amour de toi que j'éternise
Michel-Daniel Robakowski,Les Hauts d'aventure
Jean Laroche,
La musique est aveugle
Norbert Lelubre, Petite suite
Josette Barny, Machoires d'eau
Odile Caradec, Potirons sur le toit
Rémy Prin
Robert Momeux, Limpide
Claude Serreau
Robert Besse
Alain Barré
Henri Gastaud, La nuit en mouvement
Alain Lebeau
Bernard Picavet, extraits de la préface d'A Présences
Textes critiques : Emile Pescher par Norbert Lelubre, Jean Laroche par Michel-François Lavaur
Dessins de : Rikki, Michel-Daniel Robakowski, leray, tourte.

 

Extraits de la revue


voix et voies (PROPOS)

par Michel-François Lavaur

Certains m' écrivent que j'ai « découvert » Quéinnec (Keineg) -et quelques autres- (d'autres passent le fait sous silence). En vérité, j'étais là. Sur le front de la poésie active, j'étais cet « humus où lèvent les futaies nouvelles » (devise de TRACES). Et j'y demeure. C'est mon seul mérite. On sait, à TRACES, l'estime que je porte au « Poème du pays qui a faim » dont je publiai les trois premières éditions (justement pour avoir lu les premiers vers du poète, souligné ses faiblesses, pressenti son envolée et savouré cet essor dans le POÈME, texte qui garde ma préférence).
Ses deux derniers livres, Hommes Liges et Chroniques (Oswald) portent le même déploiement de mots quotidiens haussés, sans les dénaturer, au niveau de l'incantation intime, comme à celui du chant di haute voix et c'est peut-être le fond de la qualité des poèmes de Paol : prise directe sur le vécu, de la contemplation à la lutte, conjugué avec le chant du langage mûri sans froideur, simple sans mièvrerie, capable de vous prendre « à la chandelle » comme parmi les rumeurs l'une assemblée de plein air.
Voici James Sacré . Lui, ne souriez pas, c'est ma femme qui l'a « découvert ». Parmi les feuillets d'une dactylo vers la mi-61, alors que TRACES n'avait encore publié qu' un mini petit recueil ronéoté (repris dans Masque et Miroir) et que je posais les jalons de mon entreprise. Promesse, de Valin, l'édita (et il était bien dans son élément au sein de cette revue regrettée depuis que son animateur l'a abandonnée en d'autres mains -je n'en dirai rien ne la recevant plus-). James aussi a fait son chemin (je souhaiterais que son ami Hugues Pissarro que je « trouvai » à la caserne et dont je publiai les premiers poèmes et les gravures que je tiens pour remarquables, soit, lui aussi, révélé plus amplement). Cœur Elégie Rouge (Seuil) sur 170 pages, gratte, froisse, déchire par lambeaux le décor d'une Amérique oppressante, en dépit du corps et de la voix de Mary l'épouse, pour retrouver un vert de bocage, gomme un océan pour une senteur de ferme vendéenne. En somme, un autre poète du « terroir » comme disent, par mépris, les cuistres. Mais à la fois naïf et madré comme le paysan que Sacré aimerait être, et habile tailleur casseur de phrases par jonchées de luzerne ou par éclats e pierre autour du carrier.
J'ai aussi, dans ma m émoire, à côté de ces poètes nouveaux et déjà sûrs, des aînés ; dans ma mémoire et sur les pages des premiers cahiers de TRACES. Dans ma mémoire, Louis Guillaume, mort le matin de Noël 71. Son Agenda (Subervie) est une suite de 187 méditations sur le thème de l'aube. Le grand savoir-faire de l'auteur brode en virtuose des phrases concises découpées en 18 vers libres. Des gammes d'un doigté sans reproche et, souvent l'envolée d'un vrai poème.

On m'a parfois reproch é de ne pas publier de poèmes « classiques ». Les textes de facture traditionnelle, en fait, ne sont pas absents de mes sommaires. Cependant, je préfère l'écriture libérée (j'en parle d'autant plus à l'aise que mon Masque et Miroir, n'est-ce pas, avec ses quarante sonnets, tout licencieux (sur le plan de la métrique, bien sûr) qu'ils fussent...) et si vous aimez le peu commun, voire l'insolite, Poètes Singuliers du Surréalisme et d'autres lieux d'Aelberts et Auquier (10/18) vous comblera. Ne fut-ce que la découverte que vous y ferez de Danièle Sarréna. Les vers rimés vont des « poésies » à la plume d'oie pour album de marquise (Espace Magique de P. Damarix - Seghers) aux cagades là... à vous de citer). N'est pas qui veut virtuose en cette matière où H. Bazin (Jour - Seuil) cisèle. Pourtant, de nouveaux auteurs s'y affirment et Serge Michenaud dans Scorpion Orphée (Chambelland) sait un vers rimé (dirai-je Scève-Cocteau ?) d'un poids tel qui depuis Valéry, je le dis tout net, j'en connais peu, hormis les vers blancs d'E. Humeau (Tambourinaire - Chambelland), denses et drus.


michel-françois lavaur
extrait d'Aubiat

Mon limousin est celui de la région de Tulle (Aubiat est un hameau près des Quatre-Routes d'Albussac). Pour la prononciation de ma graphie, lecteur, lis-la comme si je parlais le patois de ton village, alors vivra l'occitan.

Disi : Aubiat
e dins un cial novel
meita-lauriòl meita-desborronaire
auve sonar l'alauveta.

Jueune jal lo jorn
s'emborrissa.

N'ai pro d'escriure Aubiat
per far levar los potarels
dessus las taulas de roc sec
nadar lo chat
volar l'espiulha-serp
e madurar l'auglana
empeutada dessus las romegs.

Mon chen bardièr crida Aubiat
e l'engrasola prima
estissa la pare gialada de l'ivèrn.

Aubiat e l'ausel
rebondut pren son volar

Aubiat e ieu que duerme
talament lonh de tos ostaus
m'esvelhe en Lemosin
dins nôstre païs maire

Traduction :
Je dis : Aubiat, et dans un ciel nouveau / mi-loriot mi-bouvreuil / j'entends appeler l'alouette. // Jeune coq le jour / s'ébroue- // Ce m'est assez d'écrire Aubiat / pour faire lever les cèpes / sur les tables de roc / nager le chat / voler le hérisson / et mûrir la noisette / greffée sur les orties. // Mon chien berger crie Aubiat / et le lézard printemps / déchire la muraille gelée de l'hiver. // Aubiat et l'oiseau / enterré prend son essor. // Aubiat et moi qui dors / tellement loin de tes demeures / Je m'éveille en Limousin / dans notre pays mère.



CHARLES THOMAS
Au fur et à mesure (extrait)

II y a des gens qui se persuadent de leur réussite quand, ayant voulu construire une brouette, ils ont fait
un diable. Il en est d'autres qui, n'ayant pu que fabriquer un diable alors qu'ils avaient entrepris une brouette,
se satisfont de leur œuvre, par bonhommie. Charles Thomas ne visait que ce qu'il atteint et cette poésie
à hauteur de cep est exempte de forfanterie. Fils de vigneron, bien enraciné dans un terroir, il sait perpétuer
le périssable. Son vers est direct comme un « gros-plant » de son vignoble natal.
M.-F. LAVAUR.

juste ce soir-là

Par un froid peu commun
jusqu'à l'os parvenu
mon père tisonnait
des restes de passé
dans le silence.

Sous le fer d'une hache
fendait un tronc de chêne
multiplié
pour d'autres soirs à feu.

Et juste ce soir-là
les deux yeux qu'on aimait
partis si loin
qu'on les croyait éteints
revenaient allumer la lampe.





visages


Je suis de nulle part je marche dans les rues
des migrateurs. Je n'habite que les visages
liés à mon pays par toutes leurs racines
tenant à leurs miroirs par mes lierres têtus
par ces herbes accrues de pleurs et de soleils
lisibles dans leurs yeux plus que dans les prairies.
J'ai l'immense recours de résurrection
sans cri rien que par le prestige des silences
j'abolis d'un seul coup l'opaque des distances
pour me remémorer l'accueil et la maison.
J'écoute comme un confident — comme un voleur
parfois — les alternances d'ombre et de lumière
libérant un secret que le temps enferma.
Visages mes oiseaux mon livre ma rivière
que renaisse la joie ou qu'hiberne la mort
quand j'aurai parcouru le bruit des paysages
et peut-être déçu de ma gerbe de vents
pour l'aventure et la présence pour l'amour
pour la réponse bue à vos mouvants calices
que vous m'aurez appris en vos géographies
sur les chemins de transparence et de mystère
combien je vous devrai de bouquets et de feux
quand j'appareillerai pour la face de Dieu.

aaaaa

Michel-Daniel Robakowski

une femme

une femme comme une source une femme
entre mes bras le vertige
ces falaises mouillées je deviens.
les bateaux à coups d'ailes frissonnent
corps à corps les mouettes rentrent au port.
je deviens ces draps d'algues je nage
le lit s'ouvre le lit
au ventre horizontal
une femme chante l'eau
entre les lèvres l'amour je deviens.
batraciens les soleils s'accouplent d'océans.
j'apprivoise un aquarium
une femme comme d'une source une femme
entre mes bras il y a la mer
ces navires hurlants je deviens.

la peine de vie

lilas en bouquet sur l'armoire desséchée
à jamais fermée pour cause de deuil.
comme une odeur d'absence sur le linceul
dessous le lit le chat n'ouvre les yeux
et la lune marche dans le cercueil.
photographie en mal de regard sur le mur
pour toujours jaunie d'un immense retard.
mais je sais les mouches au clair de la fenêtre
pour traduire la vie
et au dehors le soleil aveugle se cogne
de mille mains d'enfants de mille mains
quand l'école s'amuse.
bouquet de lilas sur l'arbre refleuri
à jamais planté pour la peine de vie.



Michel-Daniel Robakowski

Jean Laroche
par Michel-François Lavaur


Il est sans doute bon de discerner dans les démarches la façon d'avancer. Pourtant,
si le moineau sautille tandis que la bergeronnette
va pas à pas comme une fille à talons hauts, leur cheminement n'en est pas moins juste. D'autant qu'ils volent. Et je sais que pour tout être, animal ou plante, l'important est d'affirmer son tropisme avec
les moyens du bord. Aussi n'ai-je point le goût de
la vivisection. Je soliloque. A peine fais-je un entrelac comme une invite car le critique a tort qui parle quand un poète chante.

Le poème de Jean Laroche est un végétal serein. Fleur de serre, quelque simple des prés, voire un lichen, éclos à l'heure juste, il fleurit aussi bien au néon des avenues que parmi les décombres.

toujours le même
insecte crie
L'HERBE - A - POEMES L'HERBE - A - POEMES


Apparemment étranger à notre monde (je dis « apparemment » car trois vers soudain parmi la mélodie

quelqu'un tombe dans les lilas
en criant NON
criblé d'éclats

ou l'attaque d'un distique

le fils dormant demande à voix basse
pourquoi l'espace et des malheurs si grands

démentent ce que laisse un survol hâtif) ce monde sur lequel d'autres auteurs tentent d'agir, il est. Mais si la fleur dépérit, son temps échu, le poème de Laroche revit et palpite dès qu'un regard l'effleure, qu'une voix le prolonge. Ne vous y trompez pas, cette poésie est nourrie de vie et les morts l'épaulent,

c'est une route où vont des morts
c'est une colline méchante
c'est Dieu debout comme un remords
c'est le jour et la nuit QUI MENTENT


et si le sang paraît figé sous le glacis, s'il ne gicle pas sous le fer, s'il ne macule pas un gilet d'otage, il circule comme aux veines d'une chair assoupie. Il est.

— « inscrites dans ta chair les marées s'auréolent galet fils de la lune et du sable à minuit »
- « Dans mes veines ces hiéroglyphes de la mort brille le sang toujours neuf d'une éternité »


(extrait de La musique est aveugle)

le cri de cet homme
est au fond du puits
sa voix se promène
au hasard des nuits

enfance ouvre-lui le vent
il saura trouver du soleil
dedans

le rire de l'homme
est sur les chemins
les bêtes du jour
mangent dans sa main

les fleurs disent qu'il n'y a personne

reste un peu de nuit
rêvant sur des pas
le soleil se repaît de toi
sur les pavés

on savait la beauté possible
on savait tous les rires feints
quand vivantes bramaient les cibles
dans la déroute des matins

on disait — « Aux marches de l'heure
le sang des anémones crie »
Passante frêle ris et pleure
dans l'éclat du soleil meurtri

un Age d'Or ses hlanches tentes
à l'orée aux confins des bois
à la limite des grands froids

se peut-il que la vie absente
voleté et plane au bord des toits
fille du vent graine de soie ?

temps des tristesses couronnées
du soleil dans les murs
des saisons ouvertes comme des cœurs
et des rires à fleur de peau
des rêves des reflets dans l'eau douce

grave le vélin de l'orange
beauté du jour malade
allume la veilleuse d'une chrysalide
en l'écorce transparente des heures

son attente crée la lumière

et dis toi que le moment viendra
où tous les monstres en liberté
éclabousseront hilares cette page
les arbres d'un si grand hiver
s'étonneront de leur solitude

tu marches à marée basse
sur les coquilles éclatées du feu
et c'est toujours le temps de la plus belle
dont le buste souriant tourne chamarré de fumées
dès l'aube sur le manège miroitant du fleuve

le temps couvert et les mots de saison
l'herbe à chagrin la première blessure
et le vocable faim pour couronner le tout
et le vocable faim

un parc sa noire démesure
une colline ses trahisons
trop de ciels parmi trop de figures
dis pourquoi s'égarer dans les yeux les plus doux
que la terre ait jamais tournés vers ceux qui rêvent
battre la faim sur le terrain du loup
battre les cartes
au cœur du Dieu jaloux
même si le cœur se soulève
dire l'obscur danser la démesure
avec tant de lumières qui font la roue
et de baisers
que nulle figure ne s'écarte

[...]

Jean Laroche



aaaaaa


Vint le temps d'une moisson plus mûre
d'un embrasement surgi du levant
le soir de la grande veille était né
un compagnon brassant les gerbes dorées
rimait les chansons des journaliers
la lune venue il jeta son baluchon aux loups
et monta la garde jusqu'au petit jour
il est des nôtres
il boit son verre comme les autres
certain jour de sueur et de sang
on peut le voir arpenter la terre
à la mesure de son pas
c'est qu il continue de rêver
dans les yeux de ses frères


Alain Lebeau


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