Norbert Lelubre


Norbert Lelubre est né à Nantes le 13 juillet 1912. Il a fait des études succinctes d’un enfant rêveur, attiré surtout par la musique et la lecture. A l’adolescence, il découvre la poésie (il rédige ses premiers poèmes à 14 ans puis la peinture grâce à son ami Emile Pescher. Toute sa vie, il restera très proches de ses amis peintres (Emile Pescher, Michel Noury, Henry Leray,puis Marc Le Petit), rêvant d’un partenariat entre les Arts. Vers 1936, il est à Belle-Ile avec le peintre Jacques Philippe. En 1938, il gagne Paris où il côtoie André Breton, Paul Eluard et Robert Desnos.
En 1939, il s’installe à Plouescat (Nord-Finistère) où il est photographe et musicien ; puis vient la guerre, les blessures, le stalag. Il revient définitivement à Nantes en 1948. Durant toute ces années, il formera un gros volume L’air du temps qu’il ne fera pas publier.
En 1957, il publie Histoire sans limites. De nouvelles rencontres et de nouvelles amitiés se nouent en poésie : Claude Serreau, Jean Laroche, Robert Momeux et Michel-François Lavaur qui lance sa revue. Alain Lebeau et Simonomis suivront.
Son dernier poème paraît en septembre 2007. Il s’éteint le 25 mars 2008.



Je connais peu de poèmes qui me semblent aussi irréprochables qu'une roue de charrette ou un tonneau. Ouvrage d'artisan sans-faux-semblant ni laeunies, beau et utile, riehe de toute une ascendance d'expérience humaine, d'un bien faire et d'un laisser dire. J'évoque cette rotondité alliée à une plénitude, devant les vers de Lelubre.

Michel-François Lavaur, in Traces 20/21 sur Lelubre

Bibliographie

Editions Traces
Deux Ballades, 1964
Chanson des treize mélancolies, 1966
Cantate pour une mort
, 1966
Rue de Minuit, 1967
La Muse invisible, 1967
Ballade à la fleur indienne, 1967
L’Illustre ou La Folie du Printemps, 1972
Histoires sans limites, 1976
Ce Noir éblouissant, 1982
Dans les yeux de ce monde, 1986
Jusqu’au pays léger, 1992

Autres éditions
Histoire sans limites , éd S. Chiffoleau, 1957
Histoires sans limites, éd. du Petit Véhicule, 1998
Le ranz des Veaux (Pamphlet), éd. du Petit Véhicule, 2002
Paraboles pour d’autres temps, éd. Sac à Mots, 2006
Mirages (poèmes et dessins), édité par Norbert Lelubre et Floriane Creac’h-Lelubre, 2007

Ces ouvrages sont toujours disponibles auprès de Floriane Creac’h-Lelubre



Petites cloches nuit mutine
ramiers lumière à tire d'aile
cryptes de vos musiques d'eau colonnes

ce que l'on chuchote :
« je suis là involontairement... il ne faut plus partir »

soleils blancs vapeur de paroles
une belle femme n'est qu'un port endormi
et comme dans les nuits de noël
un pas monte dans la mer

1932

cheval de rêve

Un cheval de rêve joue de la trompette dans les roseaux.
La montagne se glisse frissonne sur la mer et c'est un autre rêve les derniers tintements les dernières paroles du soleil dans l'arrière-nuit

Et le cheval de r êve joue en fermant les yeux... c'est ainsi qu'il s'en va bien plus loin que les autres et la fleur aux lèvres dans la pampa qui est en lui sous les arbres rosés les herbes toujours jeunes de son cœur

tu ne fuiras jamais si loin qu'en toi-même ! Les marches des palais sont couvertes d'étoiles la nuit est folle de lumières ton cœur est lourd de ciel ton verre fou de chansons

 


grande ballade le long de la mer

Tout le long de la mer la mer forte et nouvelle et qui vient délier au delta du temps sa langue de muette

tout le long de la mer - cette tête sans âge qui du haut d'un fronton décrépit

appelle inlassablement son espace épelle impitoyablement le vide

Tout le long de la mer et dans la nuit de marbre où je reviens toujours fixant jusqu'à l'ennui les portraits de mes souvenirs

Tout le long de la mer quand un doigt distrait écrit sur les nuages le chiffre étincelant de la fatalité

Sous les mains croisées du Nord et du Sud entre les longs rappels des miroirs solitaires

au-delà de la mer où des rouleaux de feu ne tournent plus qu'à peine opposant leur sens à des roues d'étoiles

 

 

 

 

 

 



Tout le long de la mer qui tient haut le flambeau où brûle l'acanthe éternelle éclairant de loin la piste des morts le parvis des Dieux

Tout le long de la mer où des vallons d'aurore s'animent de voix et de marionnettes

Tout le long de la mer qui sur sa maigre épaule tend sa mousseline à minuit quand la tune alourdie déborde des rosés tombe aux pieds des statues

Tout le long de la mer quand passe la Jeunesse - quand l'harmonica tremblant dans ta brume allonge Interminablement la vie

Quand le soir qui nous est donné quand le soir qui nous est compté s'accorde en couleur et en rêve à notre douceur à notre amertume

Au-delà de la mer

pour toucher du c œur ce cœur infini pour tout oublier jusqu'au Verbe du monde... Jusqu'au large du monde... pour tout oublier

Extrait du début de La Grande Ballade (1964)

Les Mains des Morts
à Michel-François Lavaur

En ce temps-là les mains des morts
illuminaient toute la terre
Mains du désert mains des hauteurs
ces mains de feu et de ténèbres
c' était votre moisson d'alors
et nous allions vers leurs lumières
en rangs serrés selon les ordres
en rangs serrés en rangs tout comme
les rangs de ceux que l'on fait taire
Les rangs des bêtes que nous sommes
au bruit du fer au bruit des bottes
bruits de la nuit ou de la guerre

 

 

 

Mains sans couleur mains sans colère
en ce temps-là les mains des morts
dormaient dans leur beauté de pierre
leur ombre à vif leur ombre fière
leur ombre avait gardé la forme
des vivants et l'odeur amère
des bois mouillés et des écorces
Gardé le droit gardé la force
de se lever au vent du Nord
et de tenir au vent de mer
pour ceux qui marchent pour se taire
pour nous les lâches que nous sommes

 

 

Les mains qui nous aimaient encore
cherchaient déjà notre poussière
En ce temps-là les mains des morts
ne demandaient pas de prières
le ciel était trop loin des hommes

1963

 


les quatre de l'apocalypse

Ils venaient vers nos tumultes
sur leurs motos de granit

Ils venaient pour le couchant
qu'on prépare sur la terre

Ils avaient tant d'avenirs
et de règnes sur leurs ailes

que le vieil Arbre de Science
s'arrachait à ses racines

et que Dieu disparaissait
avec nos fatalités

Ils n'avaient d'autre ironie
que la rigueur de leur masque

Ils n'avaient d'autre colère
que leur poids d'air et de marbre

Ils n'avaient d'autre lumière
que le froid de leurs cuirasses




mais le vent de leur puissance
médusait nos édifices

et l'aigu de leurs trompettes
lézardait l'éternité

IIs venaient avec l' éclair
qui précède les oracles

Ils venaient de la tempête
qui anémie les déserts

Ils n' étaient qu'une clameur
et des hourras dans le vide

et chacun de nous tombait
sous les coups de ce silence

et chacun sut que le Verbe
nous avait abandonnés











   

Des litanies sans fin
Des voix blanches des cantiques
Des yeux levés et des mains jointes
qu'attendons-nous Seigneur?
Votre écho est si faible
Si gauche est l'espérance
Seigneur
votre éternité m'intimide

II me suffirait bien d' être parmi vos nuées
un peu de cette haleine
un peu de ces rumeurs qui montent des alpages
II me suffirait bien d' être un peu de ce sable
qui tourbillonne s' élève et se disperse
un peu de ce granit qui se couvre de mousse
le filet d'eau que l'on écoute à peine

Seigneur conduisez-moi par-delà les collines
par-delà les campagnes
au pays où demain n'existera jamais
Accordez-moi Seigneur la paix de l'ignorant
et le recueillement des choses insensibles
Ce qu'il faut de candeur et de retour d'enfance
pour m'en aller là-bas tout seul au bois dormant
devenir s'il se peut transparent comme un arbre
ou patient à vos yeux comme une herbe limpide

Mars 1991


 
 

cette flèche impatiente...

Le divan, les fauteuils, les étains et les cuivres
La bienséance et le vernis du quotidien
Une médiocrité de tableaux et de livres
La lassitude d'une rosé sans parfum...

Que nous font ces témoins de notre crépuscule
vigiles alignés au seuil de notre nuit
et l'heure qui se hâte et frappe à la pendule
pour se faire demain plus brève qu'aujourd'hui?

Nous avons tant de jour à laisser transparaître
comme pour révéler la fraîcheur et la paix
de cette île au Trésor que nous gardons peut-être
pour le dernier regard et les derniers regrets.

Que me fait notre vie indigente et rapace
cette geste d'orgueil et de rien sans merci
quand l' élan d'un seul arbre exalte tout l'espace
quand tout l'été s'endort sur un bleuet? Aussi

las du tumulte las de nos murs sans oreilles
las des silences toujours plus assourdissants
j'attends l'humilité des plus pauvres merveilles
j'attends pour m'éblouir les yeux des innocents

J'attends ceux qui sauront donner à la parole
le timbre des oiseaux... Tous ceux qui vont prêchant
pour que notre maison en devienne un peu folle
se soulève au matin et parte dans le vent

J 'attends que le miroir du Magicien nous fasse
entrevoir aux confins du songe et des années
notre second visage annonçant à voix basse
nos autres noms dans les secondes destinées.

lls sont faits des pleins-jeux de nos pleines musiques
nos souvenirs ! Qu'importe qu'ils soient faux ?
Leurs aigles disparus ont des couleurs lyriques
À quoi donc sert le vrai si mentir est plus beau ?

Alors je mentirai en entrant dans la ronde
qui tourne à contre-sens et je dirai souvent
avoir fait en premier le tour de l'autre monde
seul maître à bord sur mon bateau d'enfant

L'imaginaire est notre force et notre cause
La terre où nul marin n'a jamais accosté
L'esprit de Gulliver y domine et repose
retour de l'avenir et du temps regretté

Et moi je voudrais tant finir dans les images
où le soleil un jour de mai s'est arrêté selon
son bon plaisir et pour les bêtes sages
gardiennes du printemps qui n'a jamais été.

Sagittaire

L égionnaire égaré dans la plaine interdite
vieux trappeur vieux chasseur de bisons étoilés
archer sûr de son trait mais dont la main hésite
quel éclair quel oracle ou quel signe attends-tu
quel ordre te faut-il enfin pour décocher
contre l'assaut des temps et des ténèbres vides
cette flèche impatiente si longtemps retenue?


LE MESSAGER
(à Roland Halbert)

Mon doux, mon bel oiseau
si sûr de toi, si fier
Toi qui t'en viens en conquérant
et portes haut les armes du soleil
toi la voix dans les mirages
toi la parole du désert
Que m'apportes-tu ? Que veux-tu ?
Que pourrais-tu m'offrir ?
Qu'aurais-je à te donner ?
Je n'ai rien à moi que du vent et des ombres.

Mon tendre ami
mon beau parleur
quoi que tu fasses
absent, présent
tu resteras mon inconnu
et c'est pourquoi je t'aime
c'est pourquoi je t' écoute.

O jour de joie
je sais enfin ce que chanter veut dire
de bien plus loin que les mirages
de plus loin que les caravanes
de plus loin que les minarets
de plus loin que les oasis.

Poème extrait de Mirages (2006)
à partir de dessins de Floriane Creac’h-Lelubre


dessin de Floriane Creac’h-Lelubre

 
 

Lorsque nous serons seuls

et de tout notre temps dans les temps confondus
Seuls
et de loin en loin sur la plage invisible
Seuls...
Indiscernables
Contents d' être chacun
à la fois l'un et l'autre...

Seuls
et gens du silence...

Seuls
à tenir éveillé
tout étonné
tout ébloui
le vieil amour

Septembre 2007

Dernier poème de Norbert Lelubre paru dans la revue "7 à dire" aux éditions Sac à mots

 

Cette page a été réalisée avec l'aimable autorisation de Floriane Creac'h-Lelubre.


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