Claude Serreau

Claude Serreau, né en 1932, à Les Sorinières, dans la banlieue de Nantes ; enseignant, il n’a jamais quitté les parages de l’Atlantique, entre Vendée et Bretagne sud où il réside une grande partie de l’année ; il se sent viscéralement attaché à cette région qui, de Châteaubriant à Quimper, l’a toujours largement inspiré. Après avoir collaboré à la revue Sources créée par Gilles Fournel dans les années cinquante, il travaille avec Michel-François Lavaur pour la revue Traces depuis 1962 ; des textes sont parus dans diverses revues dont Artus, Signes ; 7 à dire

 

 


 

 

 

Publications aux éditions Traces :

Raisons élémentaires, 1966, prix Théo Briand
Réflexion pour la nuit, 1969
Récrire le temps, 1972
Risquer la lumière, 1975
Référence la terre, 1978
Rechant et mémoire ou les mots exsangues, 2002
Rumeur du vide, 2003
Rien ou presque, 2004
Récitation des rites, 2006
Rémanences, 2008

Réfractions 2010 à paraître

 

Aux éditions le Petit Véhicule

Recension, mini-anthologie, 2006



Une anthologie complète est en préparation
aux éditions Sac à Mots.
Tous les titres commencent par la lettre "R"
en hommage à René-Guy Cadou .

 

 

J’ai longtemps gardé des relations avec le large.

J’ai longtemps gardé des relations avec le large.
D’une fenêtre de haut bord et face au vent
j’ai vu déguerpir au jusant les saisons défiler les pierres.
La chambre où je veillais était blanche
les lents remous des toits l’obscurcissaient au caprice des nuages.
A la barre des équinoxes je lisais les cartes marines
ma vie éclaboussée d’embruns par une église d’ouest
qui sonnait faux.
Et je ne priais pas. Je m’amarrais à ce terroir
sur un navire sans rivage
traçant une route d’ardoise au déferlement des collines.
A cinq heures quand on est seul sur la passerelle du temps
quand le clocher prend une gîte incorrigible
on est scandaleusement ivre à tout âge.
Je guettais donc les pluies qui rapprochent la terre
afin de manœuvrer au plus près d’un moustoir
que nul amer ne pouvait signaler.
Alors j’ai débarqué avec tous mes bagages
et sur le quai que j’ai foulé
la nuit pléthorique de l’enfance rebondit sous les phares.
J’ai caché ma vareuse de matelot
puisque avec l’aube il faut toujours que j’appareille.
Mais en vue de l’hiver à la brisure des eaux

j’ai manqué les passes véritablement hautes du ciel.

Raisons élémentaires, 1966 

 

 

 

 

 

J’ai pris mon regard à la corde.

J’ai pris mon regard à la corde
qui tient tout miroir en suspens.

Je suis du dedans des orages
de l’herbe des ponts des métiers
et je pénètre par la paume
dans l’appétit ombreux des choses.

A l’auberge où pauvres comme riches
pèsent du pied sur l’escalier
je suis la marche la chandelle
le bois propre la main serrée.

Le manche qui tourne la pelle
planté au flanc de la terre
n’est qu’un rameau de la branche
dont l’acier me brise les os.

Pour la reconstruction des arbres
la route en gloire de soleil
il n’est souvent que ma tête
dans sa lumière d’amitié.

Quand je me penche à la lucarne
en Mai c’est pour voir
la chaude montée des hommes
vers le jour qui les attend.

Réflexion pour la nuit, 1969 



Un seul éclair a dégrafé le temps.

Un seul éclair a dégrafé le temps
mangeur de matins calmes et de roses.
Vers la lumière d’août les chantiers et les rues
ont cimenté des ponts dans l’air.

Les murs ont la chaleurs de ce fanal
que l’horloge des doigts crispera sous la cendre.
La pierre et le métal à la peur se confondent.
Un jour au jour brisé sans vie se superpose.

Par le hasard des ruines l’espace et le silence
ont dressé des machines à ne pouvoir entendre
la mer enchevêtrée aux poutrelles des corps.

Tous les hommes à terre s’estompent au soleil
et la poussière enfin qui remonte du cœur
met sur Hiroshima des siècles à mourir.

Récrire le temps, 1972 

 

Toujours l’ancienne soif d’arriver à la mer.

Toujours l’ancienne soif d’arriver à la mer
afin que l’horizon en ses yeux se compose
et qu’alors revêtu de cet éclat de sel
la lumière confère à son ombre trahie
une autre silhouette.
Cette fois embusqué aux limites des eaux
sur la mémoire oblique des chemins de retour
que la peau dresse encore ses voiles de plein vent
dans les orbes humides d’une région première
et de poussière nette !
Mais l’oubli apaisant des hérésies qui bougent
à sons de sable et d’or les laisses de marée
pour demander au corps figé en sa dérive
cette immobilité face aux îles noyées
sans qu’un geste s’apprête !
Alors c’est retrouvant une croisière mesquine
à travers les étangs murés de la folie
se lever chaque soir et ne jamais guérir
d’une promesse faite à haute voix d’enfant
partir partir partir

quand le soleil n’est qu’un trou noir
et que la Vie s’ancre dedans.

Risquer la lumière, 1975 

 


Révérence à tous aux algues et aux vents

Révérence à tous aux algues et aux vents
révérence au miroir dont l’avers a jauni
révérences aux pluies à tout jamais muettes
révérence aux rivières sommeilleuses détruites
révérences aux mers migratrices et lentes
et révérence aux siècles maraudés sous les pierres
révérence aux matins que plus rien ne surprend
révérence aux fougères
qui gravent le linteau voûté de l’univers
révérence à la nuit dans ses viviers d’étoiles
révérence-horizon comme un dernier signal.
Révérence à la caresse anxieuse d’un verger
révérence toujours aux ruses des collines
aux vallées du silence aux arbres foudroyés
révérence aux maisons que les hommes afferment
en un solstice réalisé.

Révérence aujourd’hui où l’ultime journée
blanchira de son aube la mémoire du monde
révérence parler les villes magistères
n’auront pas asséché la joie des océans.

Avant l’ombre embrasée
REFERENCE la TERRE
féminine au présent.

Référence la terre, 1978












 

 

Solaire tu demeures

Solaire tu demeures
le temps sans possession
d’une terre vécue
en toute résonance

mais les yeux qui savaient
inventèrent l’espace
où le ciel s’accorda
aux regards les plus clairs.

Des lettres de l’espoir
la tête résignée
à ce jeu de mémoire

garde les mots exsangues.

 

Rechant et mémoire ou les mots exsangues, 2002 


N’ayant d’autres secrets

N’ayant d’autres secrets
que ces pans de mémoire
où les arbres ont pris
la place des vivants
rôdeur entre deux haies
j’enferme du regard
tant d’anciens affouages
un talus des chemins
précis au caillou près.
J’entends l’heure monter
contre les palissades
pour voir au fond de moi
d’humbles cartes postales
et des photos sépia
au revers des forêts.
Les œillets dans les dunes
asservissent la mer
ses prairies en partance
ensommeillées longtemps
sous des chapes de pluie.
Si l’on croit que je dors
c’et pure connivence
avec les herbes folles
des marais et jardins
qui gravitent autour
de la mélancolie

celle dont la constance
apaise un paysage
encore au dernier soir
arraché à la vie.

Rumeur du vide et autres lieux, 2003 

 

 

 

 

Et parce que la présence d’un seul

Et parce que la présence d’un seul
pouvait porter ombrage aux maîtres désignés
le mépris les parqua comme des morts-vivants.
Et parce que le regard d’un seul
avait l’insignifiance des bêtes sacrifiées
des bûchers nauséeux brûlèrent leur néant.
Et parce que le chant d’un seul
était tous les violons défiés du printemps
cette chaconne sans visage
elles se la jouent pour elles encore
qui voient les enfants et les fleurs.
J’étais violoniste à Auschwitz
dit-elle se cachant.

Rien ou presque, 2004 

 


Solitaire est le sang

Solitaire est le sang.
Il fallut des années
réconcilier le corps
avec cette hébétude
avalant le ressac
des aubes mal vécues.
Mais pourtant chaque accord
du vent et de la pluie
qui se joue de la terre et des mélancolies
détourne le chemin
des prairies partagées
d’enfance et d’infini.
Ce vieux visage humain
déchiffre l’univers
dont le nombre est reflet
de tant de jours détruits
quand au devant des mers
monte la voile ultime
et la lumière

où le ciel a scellé
les signes des amis
dans leur arche solaire.

Récitation des rites, 2006 

Sur la route dressée

Sur la route dressée
qui ne mène qu’au vide
un vieil autocar bleu
dépoussière le temps
où la beauté du monde
épousait la lumière
et chaque jour alors
ne commençait qu’en Mai
quand le ciel mangeait l’herbe
à propos de ces fêtes
oubliées justement
sans qu’on les connût bien.
Les îles que la mer
n’avaient pas recouvertes
abritaient leur écart
de rêve et d’abandon
pour des enfants parfois
absorbés par hasard
pendant que dans leur dos
on construisait des ponts.
De ces années tirant
leurs dernières cartouches
encore chaudes au cœur
passager tu regardes
un soleil qui se couche

en devinant qu’ailleurs
ce pays sera froid.

Rémanences, 2008 


Pays sans fond de la mémoire

Pays sans fond de la mémoire
où la nuit convoque ses chiens
pour lécher l’ombre de nos plaies
autour de foyers mal éteints
un peu de pain un peu de lait
que réchauffe l’imaginaire
une vie qui se défendait
contre les braises de l’enfance
à chaque battue d’incendiaires
aveugles non sans raison.
Maintenant qu’il pleut sur les rêves
auxquels le froid porte vertu
faut-il encore ouvrir la grange
ou bien claquemurer le corps
entre les pierres et talus
dont l’automne a brisé les hanches
en attente du grand départ ?

Ce pays-là n’a jamais tort
qui n’accueille qu’un seul élu
quand le voyage se fait lourd.

Réfractions, 2010 

 

 

Cette page a été réalisée avec l'aimable autorisation de Claude Serreau.

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