Souvenirs de terroirs

 

 

 

 

Ce n'est qu'un peu de neige
et le silence blanc
dans la nuit assoupie
mais la lampe allumée
fidèlement veille
comme si le défunt
revenu pour fêter
son anniversaire
risquait de s'égarer
en ces lieux qu'il aima
autant que son âme.

(dans l’O de Giotto)

 




 

La neige neuve moire
sa fourrure d'hermine
où nos prairies surprises
s'éveillent à demi.

Un parfum de lavande
me demeure aux narines
alors que je chemine
près d'une longue piste
de renard qui longea
l'enclos de nos volailles.

Ainsi le cri froissé
de neige sous les pas
persistera sans doute
beaucoup plus longtemps qu'elle
quand j'ouvrirai le meuble
que les fleurs bleues embaument.

(dans l’O de Giotto)

Fenestrons jumeaux dans la cheminée, ce canton paysan d’une ancienne chaumine, où palpite sans faute, nuit et jour, couleur braise, le cœur de la maison. Dans la nuit de janvier, ces deux yeux éclairés nous regardent passer. La fermière, attentive à qui rôde, touille dans la marmite, le chaudron qui lui vient des ancêtres, pendu à la dent d'une crémaillère sans âge; veille par ses lucarnes sur la volaille du coudert, l’âne du pré, les vaches ou qui sabote ici sur le chemin qui longe les bâtisses. Mas ou ferme, le mot importe peu. Quand elle se parle, quand elle pense même, ce n'est jamais en français, mais en sa tangue maternelle, ignorée des puissants et des arrivistes, des jeunes gens et des touristes.

Extrait de Vue cavalière et coupe, proses, 1998


 

Je vous écris d' Occitanie
Martin Michel Brigitte Annie
amis aux noms d'ange ou de saint
je vous écris du Limousin
où ciel et sol me sont cousins
depuis Saint-Martin-La-Méanne
dans cette poste même qui
contient la chambre où je naquis
en mille neuf cent trente cinq
d'une Marie et d'un Antoine
et où ma mère hélas mourut
sans que jardin foirail ou rue
n'en portent pour autant le deuil
je viens vous dire qu'à mon œil
selon ce que Martin m'indique
pour bien mener ma vie pratique
j'ai fait deux parts à l'existence
une moitié pour le salaire
que j'ai voulu non militaire
et l'autre demie bénévole
donnée sans prix ni récompense
la poésie après l'école
même s'il faut pour changer l'homme
sans l'aller dire jusqu'à Rome
qu'on soit prisonnier ou gardien
parfois trancher le nœud gordien.

dans "JE DE MOTS"

 


Il a suffi d'une bourrée
pour que l'odeur des foins me laisse la douce blessure de l'orphelin devant la dernière photo de sa mère.

C'est dans une cour de ferme, sur la plate-forme d'une batteuse où je délie les gerbes de seigle.

Bientôt nous mangerons le salé, le méteil, les boriòls froids et les bolets.

Je parlerai le patois pour dire l'ajusteur qui me fit
une presse ainsi que polit tant d'esclòps mon aïeul paternel couvreur et sabotier

puis au canton les pieds parmi les cendres en dépit du soir lourd je culotterai la pipe brune

claire et lustrée comme une velle limousine.

(Mon plus jeune cousin s'avisera qu'elle est nouvelle
je la dirai nommée LA VIE A BRAS LE COEUR
mienne pour ce recueil tiré de nuit dans mon grenier)

avant d'aller aider Vonnette à maintenir le veau
trop ombrageux sous la Rousselle.

Le veau
(dans Argos)

boriòls : lire bouriols = galettes
esclòps : lire esclops = sabots
canton : lire cantou = cheminée
vêle : velle = génisse


Papiers découpés et collés


Al temps de las velhadas
aviam los genolhs cuechs
e las eschinas frejas
mas l'amistat fasiá
d'una maison a l'autra
una chalor novela
que nos botavà en jòia.

L'escuròl e la lebre
jogavan dins los contes
mile torns de bons metges aus chens aus minja-charn.
Lo tais e lo senglar
gronhavan jos la pòrta
dins lo vent de l'ivern.

Lo lop lo leberon
se venian assetar
dins chade carre d'ombra.
Al priond del brostier
una bestiassa negra
se lecavà lo nas
e la podiam auvir.

En contunhar la treça
en pialar las chastanhas
e tot un lent trabalh
dessus lo blat d'espanha
los cacals e la lana
una patz d'atge d'òr
coavâ la maisonada.

A l'ora de las nhòrlas
entre uròl e pomat
visiatz sorir' las dròllas
los vielhs descobechar.
Aquel pais perdut
escondut dins mon cuer
quau nos l'a rebondut ?

(dans Aubiat,
éd. Friches, 2005)

 

 

 

 

Au temps des veillées, nous avions les jambes cuites, et froid dans le dos, mais l'amitié, d'une maison à l'autre, donnait une chaleur nouvelle qui nous mettait en joie.

L' écureuil et le lièvre jouaient dans les contes, aux chiens, aux carnivores, milite tours imparables. Les sangliers et les blaireaux grognaient sous la porte, dans le vent de l'hiver.

Le loup, le loup-garou, se venaient asseoir dans chaque creux d'ombre. Au fond du bûcher, une bête noire se léchait le nez, et l'on pouvait l'entendre.

On poursuivait les lents travaux de tresse, châtaignes, maïs, noix et laine, et pendant ce temps-là, une paix d'âge d'or couvait la maisonnée.

A l'heure des blagues, entre cidre et marrons, on pouvait voir le sourire des filles, et les vieux s' éveiller. Ce pays perdu, au fond de moi dissimulé, qui nous l'a mis en terre ?


Cuisine au cœur de nos demeures. Ustensiles offerts, mobilier ouvragé, ceux qui joignent au mieux l'utile à l'agréable, qui magnifient le nécessaire. Passagers du possible. Messagers du solide. Présents de mariage ou menus cadeaux, qui peu à peu ajoutent à leur présence, et le génie des choses qu'on nettoie, qu'on manie, aux forces des murs nus et de l'indispensable. Les revoir émerveille, les citer ensoleille : cuivre de la bassine et de la lampe à huile, cruches, potiches et napperon assorti aux rideaux que le crochet fit dessins et dentelles, huche et couverts, horloge et banc, autour du vaisselier, album de contes de l'enfance où le delft, le limoges racontent les joies ménagères, les idylles bergères, les grâces bocagères; une arche d'alliance, une terre promise. Magie du culinaire, pour l'œil et la narine, plaisir complet de la pupille à la papille. Sommet de l'art du périssable et cependant vital : deux jours de soins, marinade ou pâté, pour qu'ils l'engloutissent, ce chef d’œuvre unique, en quelques coups de mandibules ! Le travail, les trouvailles, pour le retour, les retrouvailles, le bonheur des convives, et qu'on vive, on festoie, naissances ou fiançailles, jusqu'aux funérailles, après les devoirs, les honneurs dus à la défunte, au mort, pour que la vie ne s'effraie pas d'apprendre qu'elle n'est, toute balance faite, qu'un sursis, une impasse.

(Extrait de Vue cavalière et coupe, proses,1998 )


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